« ……… Je n’ai pas besoin de démontrer
l’identité des Celtes et des Galls, elle est donnée comme telle
par tous les écrivains anciens ; mais j’ai à rechercher quelle
est la signification du mot Celte, sa véritable acception, ainsi
que l’origine de sa synonymie prétendue avec le nom générique
des peuples galliques.
D’abord, César nous apprend qu’il est tiré
de la langue des Galls1
: et en effet, il appartient à l’idiome gallique actuel,
dans lequel ceilt et ceiltach veulent dire un
habitant des forêts2.
Cette signification fait présumer que ce nom était local, et
s’appliquait soit à une tribu, soit à une confédération de
tribus occupant certains cantons ; qu’il avait par conséquent un
sens spécial et restreint : en effet les noms des grandes
confédérations galliques étaient pour la plupart locaux, et
appartenaient à un système général de nomenclature que nous
développerons tout à l’heure.
Le témoignage formel de Strabon vient
confirmer cette hypothèse. Il dit que les Gaulois de la province
narbonnaise étaient appelés autrefois Celtes ; et que les Grecs,
principalement les Massaliotes, étant entrés en relation avec
eux avant de connaître les autres peuples de la Gaule, prirent
par erreur leur nom pour le nom commun de tous les Gaulois3.
Quelques-uns même, Éphore entre autres, l’étendant hors des
limites de la Gaule, en firent une dénomination géographique qui
comprenait toutes les races de l’occident4.
Malgré ces fausses idées qui jettent beaucoup d’obscurité dans
les récits des Grecs, plusieurs écrivains de cette nation
parlent des Celtes dans le sens restreint et spécial qui
concorde avec l’opinion de Strabon. Polybe les place autour de
Narbonne5 ;
Diodore de Sicile au-dessus de Massalie, dans l’intérieur du
pays, entre les Alpes et les Pyrénées6
; Aristote au-dessus de l’Ibérie7
; Denys le Périégète par-delà les sources du Pô8.
Enfin, un savant commentateur grec de Denys, Eustathe relève
l’erreur vulgaire qui attribuait à toute la Gaule le nom d’un
seul canton.
Toutes vagues qu’elles sont, ces désignations
paraissent bien spécifier le pays situé entre la frontière
ligurienne à l’est, la Garonne au midi, le plateau des monts
Arvernes à l’ouest et au nord l’Océan ; tout ce pays et la côte
même de la Méditerranée, si aride aujourd’hui, furent longtemps
encombrés d’épaisses forêts9.
Plutarque place en outre entre les Alpes et les Pyrénées, dans
les siècles les plus reculés, un peuple appelé Celtorii10,
dont il n’est plus parlé par la suite.
Ce peuple aurait donc fait partie de la ligue
des Celtes ; or, tor signifie élevé et montagne, et
Celt-tor, habitant des montagnes boisées. Il
paraîtrait de là que la confédération celtique, au temps de sa
puissance, se subdivisait en Celtes de la plaine et Celtes de la
montagne. Cette faculté de modifier en composition la valeur du
mot Celte serait une nouvelle preuve que c’était une
dénomination locale et nullement générique.
Les historiens nous disent unanimement que
ce furent les Celtes qui conquirent l’ouest et le centre de
l’Espagne ; et en effet leur nom se trouve attaché à de grandes
masses de population gallo-ibérienne, telles que les Celt-Ibères11,
mélange de Celtes et d’Ibères qui occupaient le centre de la
Péninsule, et les Celtici12
qui s’étaient emparés de l’extrémité sud-ouest. Il était
tout simple que l’invasion commençât par les peuples gaulois les
plus voisins des Pyrénées ; mais la confédération celtique
n’accomplit pas seule cette conquête, et d’autres tribus
galliques l’accompagnèrent ou la suivirent, témoin le peuple
appelé Gallæc ou Gallic établi dans l’angle nord-ouest de la
presqu’île, et qui, comme on sait, appartenait aux races
gauloises13.
Voilà ce qu’on remarque en Espagne. Pour la haute Italie,
quoique inondée deux fois par les peuples transalpins, elle ne
présente aucune trace du nom de Celte ; aucune tribu, aucun
territoire, aucun fleuve, ne le rappelle : c’est toujours et
partout le nom de Galls. Le mot Celtoe ne fut
connu des Romains que très tard, et encore rejetèrent-ils
l’acception exagérée que lui donnaient généralement les
écrivains grecs.
Quant à l’assertion de César que les Galls
s’appelaient Celtes dans leur propre langue, il est possible que
le conquérant qui s’occupait beaucoup plus de battre les Gaulois
que de les étudier, trouvant qu’en effet le mot Celte était
gallique, et reconnu des Galls pour une de leurs dénominations
nationales, sans plus chercher, ait conclu à la synonymie
complète des deux noms. Il se peut encore que les Galls de l’est
et du centre eussent adopté dans leurs rapports de commerce et
de politique avec les Grecs un nom sous lequel ceux-ci avaient
l’habitude de les désigner ; ainsi que nous voyons de nos jours
les tribus indigènes de l’Amérique et de l’Afrique accepter, en
de semblables circonstances, des noms inexacts, ou qui leur sont
même tout à fait étrangers.
Il me semble résulter de ce qui précède: 1°
que le mot Celte avait chez les Galls une acception bornée
et locale ; 2° que la confédération des tribus dites celtique
habitait en partie parmi les Ligures, en partie entre les
Cévennes et la Garonne, le plateau Arverne et l’Océan ; 3° que
c’est à tort, mais par une erreur facile à comprendre, que ce
mot est devenu chez les Grecs synonyme de gaulois et d’occidental
; chez les Romains synonyme de Gall ; 4° que la
confédération celtique paraît s’être épuisée dans la conquête de
l’Espagne, ne jouant plus aucun règle dans deux invasions
successives de l’Italie.J……… »
Extrait de
l’introduction à « Histoire des Gaulois » de A. THIERRY.